jeudi 14 avril 2005

QUELQUES VERITES SUR BOLKESTEIN: Allons-nous dire « oui » à ceux qui nous trompent ?

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From: "Luis Gonzalez-Mestres" <luisgm@free.fr>
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QUELQUES VERITES SUR BOLKESTEIN

La « proposition de directive sur les services dans le marché intérieur »conçue par les services de la Commission européenne sous la direction duCommissaire Frits Bolkestein, donne lieu, en particulier en France, à debien étranges manipulations politico-médiatiques qui brouillent la réalitédes faits et trompent les citoyennes et les citoyens appelés à se prononcersur le « traité établissant une Constitution pour l'Europe. » Chacun sedémène aujourd'hui pour apparaître comme le plus résolu et le plus ancien às'opposer à cette proposition. Il est bon de rappeler les faits afind'apprécier la sincérité des oppositions claironnées ici ou là.LES ORIGINESTout commence à Lisbonne où les Chefs d'Etat et de gouvernement (pour laFrance, le tandem Chirac-Jospin ; pour la Belgique, le gouvernement soutenupar les libéraux, les socialistes et les écologistes) adoptent une «stratégie » en vue de faire de l'Europe « l'économie la plus compétitive dumonde.» La compétition devient la valeur de référence de l'Union européenne.Une cible : les services à libéraliser en allant au-delà de ce que prévoitl'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) qui n'épargne pourtantaucun secteur, mais qui exige, même dans le cadre de l'Union européenne,l'accord explicite de chaque Etat membre.Le 13 février 2003, le Parlement européen adopte une résolution dont- au point 35, il « se félicite des propositions visant à créer uninstrument horizontal pour garantir la libre circulation des services sousforme de reconnaissance mutuelle.»- au point 39, il considère que « les principes du pays d'origine et de lareconnaissance mutuelle sont essentiels à l'achèvement du marché intérieurdes biens et des services »Ainsi, la directive sur les services dans le marché intérieur et sonprincipe du pays d'origine tant décriés aujourd'hui ont été voulus par unemajorité du Parlement européen. Une majorité impossible s'il n'y avait eules voix des sociaux-démocrates et des Verts. Dans cette majorité de députéseuropéens qui ont réclamé cette directive (« instrument horizontal ») et ceprincipe du pays d'origine, on trouvait, parmi les députés européensfrançais présents lors du vote (résolution A5-0026/2003 ; 13/02/2003) :- Danielle Darras (PS)- Olivier Duhamel (PS)- Catherine Lalumière (PS)- Michel Rocard (PS)- Martine Roure (PS)- Gérard Onesta (Les Verts)- Yves Piétrasanta (Les Verts)- Marie-Hélène Descamps (UMP)- Alain Lamassoure (UMP)- Margie Sudre (UMP)Aujourd'hui, l'UMP, le PS et les Verts dénoncent ce qu'ils ont demandé hierparce que cette proposition de directive illustre trop clairement le modèlenéolibéral que va imposer le traité constitutionnel qu'ils soutiennent.LA PROCEDURE1) Le 13 janvier 2004, la Commission européenne adopte la proposition :parmi ceux qui l'approuvent : les Français Michel Barnier (UMP) et PascalLamy (PS), le Belge Philippe Busquin (PS), l'Allemande Michaele Schreyer(Les Verts). La proposition, dont le contenu appartient à une matière pourlaquelle la procédure de codécision s'applique, est ensuite envoyée à lafois aux gouvernements et au Parlement européen.2) Pour l'examen intergouvernemental, c'est dans le cadre du Comité desReprésentants Permanents (COREPER), qu'un groupe de travail est constitué.Il rassemble des représentants de la Commission européenne et desgouvernements. Il se réunit à six reprises entre le 27 février et le 26 mai.D'autres réunions auront encore lieu par la suite. Mais ce qu'il fautretenir, c'est que PAS UN SEUL GOUVERNEMENT NE DEMANDE LE REJET DE LAPROPOSITION (voir sur www.urfig.org).3) Bien plus, lors du Sommet européen de printemps, les 25 et 26 mars 2004,à Bruxelles, les Chefs d'Etat et de gouvernement (dont, parmi ceux-ci, lePrésident Chirac et les chefs des gouvernements français, luxembourgeois etbelges), adoptent un texte dans lequel on peut lire, à propos de lastratégie de Lisbonne : « Dans le secteur des services, qui demeurefortement fragmenté, une concurrence accrue s'impose pour améliorerl'efficacité, accroître la production et l'emploi et servir les intérêts desconsommateurs. L'examen du projet de directive sur les services doit êtreune priorité absolue et respecter le calendrier envisagé. »4) Au Parlement européen, c'est le 31 août 2004 que la « commission dumarché intérieur et de la protection des consommateurs » est saisie pour lapremière fois de la proposition. Il apparaît que le PPE (dont font partiel'UMP française et le CDH belge), les libéraux (dont fait partie le MRbelge) et une très large partie du groupe du parti socialiste européen sontfavorables à la proposition quitte à procéder à certaines modifications.Seuls le groupe de la Gauche Unitaire Européenne dirigé par le FrançaisFrancis Wurtz (PCF) et quelques socialistes, dont Béatrice Patrie (PSfrançais - Nouveau Monde), manifestent une opposition sans ambiguïté.5) Une audition d'experts est organisée au Parlement européen le 11 novembre; à la demande de Mme Patrie et du Groupe de la Gauche Unitaire Européenne,je suis entendu par la commission du marché intérieur avec 19 autrespersonnes (voir sur www.urfig.org). Il se dégage de la majorité desinterventions que cette directive va provoquer la plus formidable insécuritéjuridique, qu'elle rend inopérante la directive existante sur le détachementdes travailleurs, qu'elle compromet gravement la Convention Rome I (respectdu droit du pays dans lequel le travailleur exerce son activité), qu'elleruine toute possibilité pour les Etats qui organisent un système decouverture des soins de santé de pouvoir maintenir une telle politique,qu'elle consacre, à l'instar du traité constitutionnel européen, l'abandonde la technique de l'harmonisation comme instrument prioritaire del'intégration européenne. Un fait à noter : la Commission européenne rejetteen bloc toutes ces observations. Par contre, elle reconnaît moninterprétation selon laquelle les offres européennes en matière d'AGCSseraient désormais de la compétence exclusive de la Commission. Dans undocument de travail (PE 353.297 - DT/551156FR.doc - 21.12.2004), leRapporteur Evelyne Gebhardt « au vu des résultats de l'audition du 11novembre 2004, estime nécessaire de retravailler en profondeur laproposition de directive de la Commission. »6) Lors du Conseil des Ministres chargé des questions de compétitivité les25-26 novembre 2004, « la proposition de directive fait l'objet d'un accueilglobalement favorable par les Etats membres. » La France indique qu'elle nes'oppose pas à l'application du principe du pays d'origine.7) Le 1 janvier 2005, le passage de la présidence néerlandaise à laprésidence luxembourgeoise marque une inflexion intéressante. Legouvernement grand ducal ne semble pas disposé à soutenirinconditionnellement le texte de la proposition. A telle enseigne qu'ildépose, le 10 janvier 2005, un « document consolidé » comportant à la foisdes formulations plus précises, des formules alternatives pour chaquearticle sensible et l'abandon de certaines dispositions du documentBolkestein (document 5161/05). Ce document est actuellement examiné au seindu groupe de travail. La présidence luxembourgeoise ouvre une fenêtred'opportunité pour amender le texte. Elle se termine le 30 juin. Elle serasuivie par la présidence du gouvernement britannique qui est un ferventpartisan du texte rédigé par Bolkestein et approuvé par la Commission.LES REACTIONS1) Le 21 mars 2004, alerté par la Fédération Générale du Travail deBelgique (FGTB- syndicat de tendance socialiste non inféodé au PS belge),par une lettre du 8 mars du Collège intermutualiste belge (qui regroupe lesmutualités chrétiennes, neutres, socialistes, libérales, libres ainsi que laCaisse des Soins de Santé de la Société Nationale des Chemins de Fer Belgeset la Caisse publique d'Assurance Maladie-Invalidité) et par un communiquédu Bureau du PS belge, je publie une analyse de la proposition sous le titre: «Nouvelle agression néolibérale de la Commission européenne » (voir surwww.urfig.org).2) Dans la presse française, seul l'hebdomadaire Politis fait écho à cetteanalyse et c'est le journaliste Thierry Brun qui, le premier en France,révèle le contenu de la proposition dans le numéro du 25 mars.L'hebdomadaire annonce la manifestation prévue à Bruxelles le 5 juin. EnBelgique, une importante mobilisation rassemble associations, ONG etsyndicats dans le cadre du Forum Social de Belgique. Seul l'hebdomadairebelge Le Journal du Mardi relaie analyses et commentaires.3) Début juin, d'autres associations (dont Attac) et organisationssyndicales, en France et ailleurs, entament à leur tour une campagne contrela proposition de directive. Le 5 juin 2004, à l'invitation du Forum Socialde Belgique et des deux centrales syndicales qui en font partie (CSC etFGTB), 5000 personnes manifestent contre la proposition Bolkestein àBruxelles. Je suis un des orateurs et je souligne l'étroite parenté entrecette proposition et le traité constitutionnel européen (voir surwww.urfig.org).4) Trois jours après la manifestation de Bruxelles, le quotidien françaisL'Humanité commence une campagne d'information et d'explication de cettedirective qui n'a plus cessé depuis lors. Le 21 juin, le conseil municipalde la Ville de Bruxelles, toutes tendances politiques confondes, adopte unerésolution affirmant sa « totale opposition » à cette proposition quiconstitue une « attaque frontale contre les services publics locaux. » LePrésident de l'Union des Villes et Communes de Wallonie déclare que « Leservice public communal constitue l'un des piliers de la traditioneuropéenne commune. »5) Lors du Forum Social Européen de Londres, c'est à l'initiative des deuxcentrales syndicales belges et du Forum Social de Belgique que se tient,pendant une demi journée, un atelier consacré entièrement à la propositionBolkestein. Une manifestation est décidée pour réclamer l'Europe sociale ets'opposer à l'AGCS et à sa version européenne aggravée qu'est la propositionBolkestein. Elle aura lieu le 19 mars 2005 à Bruxelles. Mais l'implicationde la Confédération Européenne des Syndicats, favorable au traitéconstitutionnel européen, brouille le message de cette manifestation. Ilfaudra l'énergique intervention de la FGTB pour que la CES retire de sonappel à manifester une déclaration de soutien au traité constitutionnel. Unsite internet est créé après le FSE : www.stopbolkestein.orgLA DUPLICITE DES PARTISANS DU TRAITE CONSITUTIONNELLes partisans du traité constitutionnel européen ont compris que cetteproposition Bolkestein offre l'exemple de ce que sera la mise en ouvre deleur Constitution, qu'elle risque d'ouvrir les yeux de beaucoup avant leréférendum et qu'elle vient donc trop tôt. En France, de Chirac àRocard/Strauss-Kahn, c'est la même ligue des serviteurs du patronat qui fontsemblant aujourd'hui de s'indigner d'une proposition qu'ils ont appelée deleurs voux hier.Les protestations françaises (celles des autorités comme celles des tenantssocialistes et verts du « oui » au traité constitutionnel) portentessentiellement sur le « principe du pays d'origine. » Ces partisans de la «stratégie de Lisbonne » passent sous silence les autres agressions commisespar la proposition Bolkestein :- elle remet en cause des fondements du droit privé international(Convention Rome I) et des négociations très avancées dans ce domaine(proposition de Convention Rome II) ;- elle rend inapplicable la directive sur le détachement des travailleurs ;- elle s'applique à des secteurs comme l'enseignement, la santé, lesservices sociaux, les services culturels et audio-visuels;- elle conduit au démantèlement des systèmes publics de couverture des soinsde santé- elle remet en cause le pouvoir des autorités locales à fournir desservices ;- elle est contradictoire avec la proposition de directive relative à lareconnaissance des qualifications professionnelles ;- elle ampute les Etats européens de leur liberté de choisir à quelsservices et avec quelle ampleur ils vont appliquer l'AGCS.Les prises de position tonitruantes des autorités françaises n'ont pour seulbut que de repousser l'examen de la proposition Bolkestein après leréférendum. Elles ont pour effet que cet examen n'aura plus lieu sous uneprésidence luxembourgeoise favorable à des amendements significatifs dutexte, mais sous une présidence britannique très attachée au texte initial.Faire gagner le « oui » au traité constitutionnel et obtenir ensuite laproposition Bolkestein, tel est le double objectif des serviteurs dupatronat.LA COMMISSION BARROSOLe président Barroso, un néolibéral atlantiste, qui a fait ses preuves commedestructeur des services publics quand il était premier ministre duPortugal, fait de la stratégie de Lisbonne une de ses plus importantespriorités. Dans le Financial Times (Londres), M. Barroso déclare le 2février 2005, que « la libéralisation des services est la première de sespriorités. » Il précise que son programme constitue « une rupture claireavec la pensée européenne d'un passé récent quand les préoccupationsenvironnementales et l'amélioration des droits des travailleurs recevaientla même priorité que la nécessité de générer de la croissance. »Au lendemain des exigences gouvernementales et socialistes françaises de «remise à plat » de la proposition de directive, la porte-parole de laCommission européenne, déclare le vendredi 4 février : « La position de laCommission est que la libéralisation des services est un point essentiel dela relance de la stratégie de Lisbonne sur la compétitivité de l'Union. Iln'est pas question que la Commission retire la directive services.» Lenéolibéral Charlie McGreevy qui a succédé au néolibéral Frits Bolkestein enqualité de Commissaire au marché intérieur déclare que « le principe du paysd'origine doit être maintenu, car c'est la clé de voûte de la directive. »Peter Mandelson, successeur travailliste du socialiste Pascal Lamy, défendlui aussi ce principe au nom de la lutte contre le protectionnisme.Propos de l'Exécutif que ne dément pas le vice-président socialiste duParlement européen, Robert Goebbels qui ajoute : « Il existe des pansentiers de services où la concurrence ne ferait pas de mal. » A bonentendeur.BOLKESTEIN ET LE TRAITE CONSTITUTIONNEL EUROPEENPour comprendre la portée de ce qui se prépare, il faut garder en mémoireque l'élargissement à des pays où il n'y a pas ou peu de lois fiscales,sociales et environnementales s'est négocié au même moment où on rédigeaitle traité constitutionnel et la proposition Bolkestein. La Commissioneuropéenne, moteur de l'idéologie néolibérale, a été au centre de cettetriple démarche.L'unanimité exigée par le traité constitutionnel européen pour touteharmonisation sociale signifie l'abandon de l'harmonisation. Et laproposition Bolkestein annonce ce qui va remplacer l'harmonisation :l'utilisation des disparités nouvelles créées par l'élargissement au profitd'un patronat assuré par le traité constitutionnel que la libertéd'établissement et de circulation des services sont des « valeursfondamentales » de l'Union (article 4), que « les restrictions à la librecirculation des services sont interdites » (article 144) que la concurrencesera « libre et non faussée » (articles 3, 177, 178, et 65 autres articles.)et que l'harmonisation sociale sera laissée au « fonctionnement du marchéintérieur » (article 209).Cette proposition illustre par anticipation les législations européennesfutures une fois adopté le traité constitutionnel. Elle constitue unexemple, parmi beaucoup d'autres, des efforts de dérégulation proposés parla Commission européenne et soutenus par tous les gouvernements. Elletraduit la résignation et la collaboration à laquelle nous appellent ceuxqui, comme Michel Rocard, répètent à satiété que « le capitalisme a gagné.»Cette proposition et les péripéties qui l'accompagnent illustrent égalementà quel point, dès qu'il s'agit de l'Union européenne, on nous trompe et onnous manipule. Profitant de la complexité des textes et de l'opacité desprocédures, on s'applique à nous tromper sur le contenu des textes et surles attitudes adoptées.On nous trompe sur Bolkestein. On nous trompe sur le traité constitutionneleuropéen.
Allons-nous dire « oui » à ceux qui nous trompent ?
Raoul Marc JENNAR