BELGIQUE: Pour le gouvernement, chaque citoyen doit être surveillé
Si cela ne tient qu'au gouvernement, on ne pourra bientôt plus téléphoner, envoyer un e-mail ou surfer sur le net sans qu'une trace de ces activités soit conservée.
Deux ministres ont d'ailleurs été chargés d'élaborer une loi.
En mars dernier, les ministres de l'Économie, Johan Vande Lanotte (sp.a), et de la Justice, AnnemieTurtelboom (Open Vld), ont présenté un projet de loi obligeant les sociétés de télécommunication et les fournisseurs d'accès à Internet à conserver durant douze mois toutes les communications passant par eux. Il ne s'agit pas de conserver le contenu lui-même, mais le destinataire, la durée de la communication, l'adresse IP utilisée, le nom de la personne qui a payé la communication, le volume des données envoyées et téléchargées, les services sur lesquels l'abonné est enregistré… Autrement dit, toutes les données relatives au trafic téléphonique et Internet sont enregistrées.
Selon les ministres, cette mesure est indispensable pour lutter contre la grande criminalité. Cette loi fait donc de chaque citoyen un criminel potentiel à surveiller. Et, à l'avenir, toutes les données se rapportant au trafic téléphonique et internet seront conservées.
Ce n'est pas tout. La Sûreté de l'État et les services de sécurité de l'armée auront accès à ces données. Lorsqu'on sait que le domaine d'activité de ces services est très vaste, on peut craindre que, si cette nouvelle loi est votée, toute opposition sociale à la politique de l'Union européenne et du gouvernement sera passée au peigne fin.
Selon les ministres, cette mesure est indispensable pour lutter contre la grande criminalité. Cette loi fait donc de chaque citoyen un criminel potentiel à surveiller. Et, à l'avenir, toutes les données se rapportant au trafic téléphonique et internet seront conservées.
Ce n'est pas tout. La Sûreté de l'État et les services de sécurité de l'armée auront accès à ces données. Lorsqu'on sait que le domaine d'activité de ces services est très vaste, on peut craindre que, si cette nouvelle loi est votée, toute opposition sociale à la politique de l'Union européenne et du gouvernement sera passée au peigne fin.
Illégale dans quatre États
Selon les ministres Vande Lanotte et Turtelboom, ils sont obligés de rédiger cette loi, car s'ils ne le font pas, l'Union européenne risque de condamner la Belgique à des sanctions. Autrement dit, ils doivent transposer dans la législation belge la directive européenne de 2006 sur la rétention des données. Le projet de loi a été soumis au Conseil d'État pour avis. Les ministres espèrent ainsi que la loi pourra être votée au Parlement avant les vacances d'été. En Allemagne, en Roumanie, à Chypre et en Tchéquie, les Cours constitutionnelles de ces quatre pays respectifs ont déclaré que cette loi était inconstitutionnelle. En Allemagne, près de 35 000 personnes avaient introduit une requête en annulation auprès de la Cour et, le 2 mars 2010, elle leur a donné gain de cause déclarant qu'il s'agissait d'une loi « particulièrement lourde de conséquences pour les droits des citoyens et d'une portée sans précédent ». La Cour a critiqué la rétention de données en ce sens qu'elle permet « une intrusion abusive dans la vie sociale et les activités privées des citoyens » et qu'elle peut déboucher sur « l'élaboration de profils de personnalité et de déplacement détaillés de pratiquement tous les citoyens ».1
Ce projet de loi est sans conteste l'atteinte la plus grave jamais portée à la vie privée, un des droits protégés par la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Et la présomption d'innocence, principe de base de l'État de droit démocratique, est également menacée. De même, les libertés fondamentales comme la liberté d'expression, la liberté de la presse, ou le droit de s'organiser librement sont aussi attaquées. Qui pourra encore recourir aux moyens de communication modernes par excellence que sont le téléphone (mobile) et l'internet pour communiquer librement et sans contrainte sachant que toutes les données de communication peuvent à tout moment être consultées par la police, le parquet, le juge d'instruction ou la sûreté de l'État ? La justice dispose pourtant déjà de tous les moyens nécessaires pour requérir dans un dossier déterminé les données relatives au trafic téléphonique et internet. Quant à la sûreté de l'État, elle peut dans certains cas recourir à toutes sortes de méthodes secrètes. Cette nouvelle loi permettra donc de contrôler tous les citoyens, même innocents. Plus que jamais, il importe d'organiser une protestation de masse, comme cela s'est fait en Allemagne.
1. Raf Jespers, Souriez, vous êtes fichés, Couleur Livres, 2013
Conservation des données :: Tous suspects !
Le 8 octobre, l'Arrêté royal d'exécution de la loi sur la rétention des données a été publié dans Le Moniteur belge. Il a été signé par les ministres Johan Vande Lanotte (sp.a) et Annemie Turtelboom (Open VLD). La nouvelle loi constitue une attaque sans précédent au droit fondamental à la vie privée.
En 2006, l'Union européenne sortait sa fameuse « directive sur la conservation des données ». Celle-ci concerne la règlementation légale pour la conservation des données de télécommunication en vue d'une harmonisation européenne en matière d'« enquête, de recherche et de poursuites à l'encontre de la criminalité grave ». Les États membres de l'UE sont censés transformer cette directive en droit national. En fait, la Belgique devait déjà le faire pour le 15 mars 2009.
En 2008, un premier projet de loi était déposé sur la table. Tant la Commission sur la vie privée que le Conseil d'État avaient alors émis un avis défavorable.
En 2008, un premier projet de loi était déposé sur la table. Tant la Commission sur la vie privée que le Conseil d'État avaient alors émis un avis défavorable.
Traitée en urgence
Au début de l'été, l'affaire accélère brusquement. Le 3 juillet, un nouveau projet de loi est introduit à la Chambre. Le président de la Chambre, André Flahaut (Ps), accepte le 4 juillet que la proposition soit traitée en urgence. Le 9 juillet déjà, elle est discutée au sein de la Commission Infrastructure des communications et des entreprises publiques. Cette urgence est remarquable. La directive européenne date en effet de 2006. Sept ans se sont donc écoulés avant d'en faire une proposition de loi. En outre, la brièveté du temps dans lequel on a introduit et traité la proposition est très suspecte elle aussi. À ce propos, Le Vif a cité un juriste qui travaille en marge de la Commission sur la vie privée : « Voter une telle loi en trois semaines, c'est scandaleux. Cela constitue un problème démocratique. » Les parlementaires ont reçu le texte quelques jours à peine avant qu'il soit discuté à la Commission. Autre détail inquiétant, c'est que la proposition de loi soit traitée par la Commission Infrastructure des communications et des entreprises publiques, mais pas par la Commission Justice ou par les commissions réunies, alors qu'il s'agit pourtant ici d'une matière qui concerne la vie privée des citoyens. Le 18 juillet, la nouvelle loi sur la rétention des données était ainsi approuvée.
Un contrôle permanent
La nouvelle loi oblige les fournisseurs d'Internet et entreprises de télécommunication à conserver durant un laps de temps indéterminé et une année au moins toutes les données d'identification de leurs usagers.
Une conversation téléphonique, un SMS, un mail… tout est enregistré et conservé, de même que toutes les allées et venues sur Internet et les réseaux sociaux. Toutes ces informations conservées, de nature souvent très personnelle et confidentielle, peuvent être utilisées tôt ou tard, et utilisées à mauvais escient. Comment un activiste peut-il encore lancer tranquillement un appel à l'action, un avocat ou un médecin communiquer avec ses clients, un homme politique diffuser son avis, un citoyen engagé chercher des informations critiques ? Comme le dit le sociologue spécialisé dans les nouvelles technologies Ben Caudron dans De Tijd (10/10) : « Ce qui constitue aujourd'hui un comportement admis ne doit plus l'être demain. C'est là que réside un danger de cet Arrêté royal. »
Une conversation téléphonique, un SMS, un mail… tout est enregistré et conservé, de même que toutes les allées et venues sur Internet et les réseaux sociaux. Toutes ces informations conservées, de nature souvent très personnelle et confidentielle, peuvent être utilisées tôt ou tard, et utilisées à mauvais escient. Comment un activiste peut-il encore lancer tranquillement un appel à l'action, un avocat ou un médecin communiquer avec ses clients, un homme politique diffuser son avis, un citoyen engagé chercher des informations critiques ? Comme le dit le sociologue spécialisé dans les nouvelles technologies Ben Caudron dans De Tijd (10/10) : « Ce qui constitue aujourd'hui un comportement admis ne doit plus l'être demain. C'est là que réside un danger de cet Arrêté royal. »
Tout le monde est suspect
La Ligue des droits de l'Homme est formelle : « L'État n'a pas le droit de contrôler tout le monde en permanence, sans raison concrète. C'est précisément ce que fait la rétention de données ! » L'article 8 du Traité européen des droits de l'Homme (TEDH) stipule que les autorités ne peuvent s'immiscer dans le milieu de vie personnel de leurs citoyens que pour des raisons exceptionnelles et fondées. Aussi les autorités doivent-elles pouvoir prouver que la conservation de données est absolument nécessaire dans la lutte contre la criminalité. Un rapport de 2011 de l'organisation des droits des citoyens European Digital Rights montre d'ailleurs qu'une obligation générale de conservation des données n'a nulle part le moindre effet sur la détection, l'enquête et les poursuites à l'encontre de la criminalité grave.
Un autre problème, c'est que la nouvelle loi sur la rétention des données stipule que la Sûreté de l'État peut elle aussi réclamer les données conservées. Là, la loi va bien plus loin que ce que préconise la directive européenne. Celle-ci ne parle pas de la Sûreté de l'État. La loi peut ainsi aboutir à un contrôle très poussé des mouvements sociaux, politiques ou syndicaux qui se profilent de façon critique face à la politique.
L'avocat Raf Jespers l'écrivait déjà dans De Standaard du 12 juin : « Ce que Vande Lanotte (Ps) et Turtelboom (OpenVld) ont amorcé, c'est l'attaque la plus grave jamais commise contre la vie privée. On ne fait plus de distinction entre les citoyens coupables et innocents. Chaque citoyen est un terroriste ou un criminel potentiel. La présomption d'innocence, un principe sacré dans un État de droit démocratique, ne compte plus. Les droits civiques fondamentaux, comme la liberté d'expression, la liberté de la presse ou le droit de s'organiser librement, se retrouvent dans le collimateur. » Aussi ne doit-on pas s'étonner si l'obligation de conservation générale des données suscite une forte résistance partout en Europe. Et pas sans résultat. La Cour constitutionnelle allemande déclare que cette conservation de données comporte une importante restriction du droit à la vie privée, et c'est pour cette raison qu'elle ne peut être appliquée que dans des circonstances limitées. Les Cours constitutionnelles de Roumanie, de Bulgarie et de la République tchèque ont estimé que leur législation nationale respective en matière d'obligation générale de conservation était contraire à la constitution. En Autriche aussi, des protestations véhémentes fusent. Dans notre pays, la Ligue des droits de l'Homme va contester la nouvelle loi sur la rétention des données auprès de la Cour constitutionnelle.
Un autre problème, c'est que la nouvelle loi sur la rétention des données stipule que la Sûreté de l'État peut elle aussi réclamer les données conservées. Là, la loi va bien plus loin que ce que préconise la directive européenne. Celle-ci ne parle pas de la Sûreté de l'État. La loi peut ainsi aboutir à un contrôle très poussé des mouvements sociaux, politiques ou syndicaux qui se profilent de façon critique face à la politique.
L'avocat Raf Jespers l'écrivait déjà dans De Standaard du 12 juin : « Ce que Vande Lanotte (Ps) et Turtelboom (OpenVld) ont amorcé, c'est l'attaque la plus grave jamais commise contre la vie privée. On ne fait plus de distinction entre les citoyens coupables et innocents. Chaque citoyen est un terroriste ou un criminel potentiel. La présomption d'innocence, un principe sacré dans un État de droit démocratique, ne compte plus. Les droits civiques fondamentaux, comme la liberté d'expression, la liberté de la presse ou le droit de s'organiser librement, se retrouvent dans le collimateur. » Aussi ne doit-on pas s'étonner si l'obligation de conservation générale des données suscite une forte résistance partout en Europe. Et pas sans résultat. La Cour constitutionnelle allemande déclare que cette conservation de données comporte une importante restriction du droit à la vie privée, et c'est pour cette raison qu'elle ne peut être appliquée que dans des circonstances limitées. Les Cours constitutionnelles de Roumanie, de Bulgarie et de la République tchèque ont estimé que leur législation nationale respective en matière d'obligation générale de conservation était contraire à la constitution. En Autriche aussi, des protestations véhémentes fusent. Dans notre pays, la Ligue des droits de l'Homme va contester la nouvelle loi sur la rétention des données auprès de la Cour constitutionnelle.
Pour aller plus loin
• Raf Jespers, Souriez, vous êtes fichés. Big Brother en Europe, 2013, Couleur Livres, 22 €. L'avocat Raf Jespers analyse la façon dont, sournoisement, l'Union européenne met sur pied une architecture sécuritaire complexe qui n'est soumise à aucun contrôle. On est à des lieues de la transparence du pouvoir ou des entreprises, mais la transparence du citoyen est une réalité très actuelle.
• Dossier La démocratie surveillée, dans Études marxistes, n° 102, avril-juin 2013, 7,50 €.
Les deux ouvrages sont disponibles sur www.ptbshop.be.
• Raf Jespers, Souriez, vous êtes fichés. Big Brother en Europe, 2013, Couleur Livres, 22 €. L'avocat Raf Jespers analyse la façon dont, sournoisement, l'Union européenne met sur pied une architecture sécuritaire complexe qui n'est soumise à aucun contrôle. On est à des lieues de la transparence du pouvoir ou des entreprises, mais la transparence du citoyen est une réalité très actuelle.
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