mercredi 8 février 2012

BELGIQUE: Elio Di Rupo : le moindre mal ou la politique qui mène au pire

C'était dans SOLIDAIRE, hebdo du PTB:

 

Elio Di Rupo : le moindre mal ou la politique qui mène au pire

Comment un Premier ministre socialiste peut-il défendre une politique d'austérité jamais vue dans l'histoire de la Belgique ? Au PS, on nous le garantit : on a « pris ses responsabilités » et « sauvé notre modèle social ». Décryptage.

David Pestieau

« Obligés de suivre les recommandations de l'Union européenne. » FAUX.

« Les syndicats, les gens en colère, je les comprends, lance Elio Di Rupo au JT de la RTBf. Mais il fallait faire ce qu'il fallait faire (sic) et respecter formellement les recommandations de la Commission européenne. » Autrement dit, on peut comprendre le peuple, mais on fera le contraire pour respecter la volonté du 1 % de l'establishment européen et de la finance. Qui défend un programme néolibéral.
Car si on peut contester la politique de notre gouvernement en Belgique, on peut le faire aussi contre l'Union européenne. C'est une question de rapport de forces à développer dans la rue, comme l'a appris l'histoire du mouvement social. Et ça tombe bien, d'autres peuples d'Europe sont aussi en mouvement ces mois-ci. Mais Di Rupo semble avoir abandonné cette idée depuis un petit temps.
Le côté « on n'a pas le choix » n'est pas nouveau : Di Rupo avait justifié les privatisations de la CGER, du Crédit communal, de la Sabena en son temps, afin « de combler le déficit », pour respecter « la norme de Maastricht », pour entrer dans l'euro. 15 ans plus tard, on a vu où cela a mené.

« On sauve notre modèle social pour les pensions et le chômage. » FAUX.

« Avec le vieillissement de la population, pour pouvoir conserver un système de sécurité sociale, il faut éviter que les travailleurs quittent leur emploi trop tôt », explique le PS dans une note adressée à ses sympathisants défendant l'accord1. Là, le PS suit entièrement les dogmes de la pensée unique. Que les Belges sont les travailleurs parmi les plus productifs au monde et épuisés par un travail stressant : oublié. Que les caisses des pensions se sont vidées par les cadeaux au patronat pour 9 milliards : encore oublié. Qu'il y a assez de richesses (mais qu'il faut aller chercher) pour permettre aux plus âgés de profiter des quelques années de retraite quand ils sont encore en bonne santé : oublié.
Même chose pour les allocations de chômage qui diminueront très vite à un taux plancher. Après deux, trois ans maximum. « On a préservé les minima actuels et empêché ainsi que des cohortes d'hommes et de femmes soient jetés dans la pauvreté. »2 Sauf que le minimum pour un isolé est à 898 euros, 38 euros au-dessus du seuil de pauvreté. Et le minimum pour un chef de ménage (ayant deux enfants et un partenaire privé de ressources) est de 1 069 euros, soit 736 euros en dessous du seuil de pauvreté.
En réalité, Di Rupo a laissé entrer les principes du modèle allemand dans la sécurité sociale belge. Et ouvert la porte à son détricotage.

« Un accord équilibré et socialement juste, les plus riches doivent payer pour 5 milliards. » FAUX.

« On touche au capital », affirme Paul Magnette. Cela fait « près de 5 milliards  qui pèseront sur le secteur bancaire et les très hauts revenus », a-t-il déclaré sur le plateau de Mise au Point.
On pourrait déjà rétorquer qu'il n'y a rien d'équilibré à ce que des travailleurs doivent payer près de 5 milliards d'économies pour une crise dont ils ne sont pas responsables. On pourrait se dire que l'idée de la taxe des millionnaires que le PTB avait envoyée au formateur a été non seulement allégée puis même abandonnée. Elle a été remplacée par une cotisation de solidarité sur les hauts revenus mobiliers (au-dessus de 120 000 euros) qui rapportera très peu. « Comme il n'y a aucun moyen de contrôle, cela risque de devenir l'impôt le plus fraudé du monde » selon Marco Van Hees, spécialiste fiscalité du PTB.

Que reste-t-il ? Pas grand-chose.

Les intérêts notionnels? Ils ne sont pas supprimés, ni même sérieusement diminués. Le taux passe de 3,425 % en 2011 à 3 % en 2012. Di Rupo parle de 1,6 milliard d'économies. « Faux, répond Marco Van Hees, ce 1,6 milliard d'euros, c'est la différence entre le taux légal de 4,36 % et le taux de 3 %. Les 3,425 % était déjà d'application depuis deux ans. La véritable recette nouvelle s'élève seulement à 500 millions d'euros. »
La lutte contre la fraude fiscale ? 700 millions d'euros pour une fraude estimée à 20 milliards d'euros. Ridicule, surtout que ni une vraie levée du secret bancaire ni un cadastre des fortunes ne sont prévus.
La taxation des plus-values sur actions ? Abandonnée pour les personnes physiques, et taxation pour les entreprises uniquement si elles ne gardent pas leurs actions pendant un an. D'où un rendement de 0,15 milliard alors que l'immunisation des plus-values sur actions coûte à l'État 5 milliards par an en moyenne...
Il y a bien la hausse du précompte mobilier à 21 % ? « Di Rupo fait de la démagogie sur la spéculation mais, finalement, il réduit l'écart de taxation entre les intérêts (par exemple sur les bons d'État) et les dividendes, qui ne sont plus séparés que de 4 points d'écart. L'épargnant au profil de "bon père de famille" est donc sanctionné, pas le boursicoteur au profil à risque », juge Marco Van Hees.
La taxation sur le secteur énergétique et bancaire ? Il y a beaucoup de chances que ce sera reporté sur le consommateur car aucun mécanisme pour l'empêcher n'a été mis en place.
1. Réformes socio-économiques : pourquoi le PS s'est battu, 28 novembre 2011, p3 • 2. Idem, p1

Et la pression libérale ?

Les libéraux ont profité de la pression de la Commission européenne et des marchés financiers pour en rajouter une couche. « Le MR et le VLD sortent gagnants », précise le politologue Pierre Verjans. C'est clair que les libéraux voulaient accélérer les réformes et ils ont obtenu gain de cause. Sous la pression libérale, la réduction des dépenses, qui touche l'homme de la rue, se montera à plus de 4,3 milliards d'euros au lieu de 2,3 milliards dans la note Di Rupo de juillet. Pourtant, le PS affirme s'être battu comme un lion. Et, surtout, il a « sauvé l'index ». « Momentanément », précise Alexander De Croo (Open Vld). Car que dira Di Rupo à la Commission quand elle lui demandera, lors d'une prochaine phase de la crise dans les mois à venir, de le réformer quand même comme l'exige la troisième de ses recommandations ? « Qu'il comprend les syndicats mais qu'il fallait faire ce qu'il fallait faire » ? Et c'est la quantième fois que le PS vend un accord antisocial en affirmant avoir sauvé l'index ? De l'autre côté, en ne concentrant pas le feu sur l'impôt sur les fortunes et la suppression des intérêts notionnels qui visent vraiment les plus riches, le PS a mis sur la table des mesures de taxation qui touchaient aussi les cadres, les petits indépendants et des ménages d'employés à deux salaires. On pense à la taxation des voitures de société, aux titres-services, etc. Ainsi, il a ouvert la voie aux libéraux qui ont pu faire de l'agitation à bon compte sur la « défense de la classe moyenne ». (DP)