Samedi 6 décembre, quartier d'Exarchia, 21h
Quand les télévisions annoncent la mort d'Alexis pour la première fois, elles parlent d'un groupe d'une trentaine de jeunes qui s'en seraient pris à la police, laquelle aurait riposté, aboutissant à la mort d'un jeune homme, touché par une balle perdue. Au bout de trois ou quatre heures après le meurtre, des manifestations spontanées éclatent un peu partout en Grèce. Des magasins de vêtements et d'ordinateurs sont incendiés à Stournari et dans la rue commerçante d'Ermou. De son côté, la télévision ne relate que la version officielle du policier meurtrier, donnant l'illusion que la mort est intervenue alors que des émeutes avaient déjà éclaté. Or, les émeutes ont bien été déclenchées après le meurtre, qui a rendu les gens fous de rage. Le Ministre de l'Intérieur et son sous-secrétaire d'Etat présentent aussitôt leurs démissions, refusées par le gouvernement. Cette mise en scène ne convainc personne.
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Lundi 8 décembre
Mardi 9 décembre
Mercredi 10 décembre
Et ainsi de suite…
Entre 1980 et aujourd'hui, la police a tué plus d'une centaine de personnes, principalement des jeunes, sans aucune raison, et sans qu'aucun policier soit condamné. Afin de comprendre la situation actuelle, tentons de répondre à ces deux questions essentielles :
Pourquoi un policier de 37 ans, père de trois enfants, tue sans raison un jeune de 16 ans ?
Récemment, les patrouilles spéciales, du type de celles qui ont tué Alexis, se sont intensifiées au centre d'Athènes. La veille du meurtre, la répression pratiquée par les MAT (les unités de « rétablissement de l'ordre ») sur une manifestation étudiante a été épouvantable. Il est à noter que ces unités spéciales sont relativement nouvelles et qu'elles ne sont pas formées à gérer des situations périlleuses demandant beaucoup de contrôle et un soupçon de psychologie – contrairement à leurs équivalentes européennes. Chez les policiers armés, il n'y a aucun accompagnement psychologique.
A côté de cet état d'esprit développé dans la police, les actions du gouvernement génèrent beaucoup de frustration et de colère, entre divers scandales liés à d'obscurs trafics financiers d'argent public entre l'Etat et l'Eglise. La corruption semble de mise et a probablement profité au moins à quelques ministres – voire au Premier Ministre lui-même – et à des représentants de l'Eglise. Tous ces scandales, qui arrivent en plein milieu de la crise économique mondiale, rendent les citoyens méfiants. Depuis longtemps, la Grèce est le pays d'Europe où les salaires sont les plus bas. Des études parmi les jeunes indiquent clairement que l'optimisme sur un meilleur avenir est proche de zéro. Le chômage, les bas salaires, les retraites minimum, et le système éducatif déplorable ne sont pas en faveur des jeunes générations. Et le pire est à venir. C'est la première fois depuis la dernière Guerre Mondiale qu'une génération s'attend à ce que son avenir soit moins harmonieuse que celui de ses parents. Finalement, pour comprendre un peu mieux ce qui se déroule en Grèce en ce moment, il suffit de regarder à nouveau le film de Mathieu Kassovitz, La Haine.
La répression se poursuivra t-elle ? Quoi qu'il en soit, la révolte gronde. Mais à quand de profonds changements ?
« Pas besoin de nous envoyer vos gaz lacrymogènes, nous pleurons suffisamment par nous-mêmes. » C'est ainsi qu'un des amis d'Alexis achevait une lettre écrite récemment.
Adapté et traduit de l'Anglais par Vincent Le Leurch pour Basta ! Notes
[1] Spécialiste des mouvement sociaux urbains à Athènes, membre de l'Association international des techniciens, experts et chercheurs et volontaire dans le cadre d'Echanges et partenariats
[2] Même la Chambre du Commerce estime que la réaction des gens se comprend après le meurtre d'un jeune
[3] Un pourcentage proche de zéro des gens de droite interrogés sur la présence d'un jeune à Exarchia estime que c'était déplacé de sa part. Le quartier d'Exarchia est considéré par certains comme la base de la mouvance autonome.
[4] Unités de « rétablissement de l'ordre », équivalent des CRS français, ndlr