Une directive européenne pour épier nos coups de fils et nos mails
L'Europe veut que la justice et la police sachent à qui et quand vous téléphonez ou envoyez des mails. De plus en plus d'associations demandent au Parlement belge de ne pas approuver la directive européenne.
Si le Parlement belge, malgré toutes les protestations, approuve la directive européenne, les compagnies de téléphone et les fournisseurs Internet vont devoir conserver toutes les « données de trafic » de leurs clients entre six mois et deux ans. Et ils devront transmettre ces données à la justice et à la police, pour qu'elles puissent vérifier à tout moment qui a téléphoné ou chatté avec qui, depuis où et quand, qui a surfé sur certains sites, etc. Pour tout le monde. Actuellement, cela ne se fait que dans le cadre d'une enquête judiciaire.
Cette atteinte à la vie privée de tout un chacun est requise pour « la lutte contre la criminalité et le terrorisme », dit-on. Faut-il vraiment pour cela placer tous les citoyens sous le contrôle de l'Etat ? Et la loi ne loupe-t-elle pas sa cible si elle se met d'ici peut à filer 10 millions de personnes ? L'avocat Raf Jespers estime qu'il ne faut pas sous-estimer l'affaire. « Dans l'Union européenne, ils examinent comment ils vont pouvoir gérer cette masse de données. Aux Etats-Unis, ils ont déjà des ordinateurs qui, à l'aide de mots clés, trouvent exactement ce qu'ils cherchent parmi des milliards de données. En Europe, on pense pouvoir le faire aussi à plus long terme. » Mais la loi loupe bel et bien sa cible, estime Jespers. « Car les criminels et les terroristes sont les premiers qui trouvent les astuces techniques leur permettant de ne pas être écoutés ou localisés. »
La justice et la police cherchent à l'aide de mots clés qui les conduisent à des criminels et des organisations terroristes. Le citoyen innocent doit-il alors se faire du souci ? « En ce moment, ils n'examinent pas encore tout le contenu du trafic téléphonique ou Internet, mais en se contentant de vérifier avec qui et quand vous correspondez, quels sites vous visitez ils peuvent parfaitement établir le profil de tout le monde : qui sont vos amis, vos destinations de vacances, votre santé mentale ou physique Toutes ces données seraient disponibles en permanence pour la police et la justice. Il n'y a qu'un pas à franchir pour les utiliser aussi lors d'une demande d'emploi à la police, dans une centrale nucléaire, dans un aéroport C'est pourquoi je suis très formel : la dupe n'est en fin de compte ni le criminel ni le terroriste, mais la vie privée du brave citoyen dont on capte tout le trafic téléphonique et informatique. »
Un truc coûteux
Raf Jespers. « Le coût de l'opération est énorme. Si cela doit être facturé intégralement aux usager du téléphone et d'Internet, ceux-ci vont devoir, estime-t-on, payer 25 % de plus pour leur abonnement ou leur connexion. Le gouvernement a déjà dit qu'il prendrait lui-même à charge une partie des frais, mais alors, c'est nous tous qui paierons la facture via nos impôts. Cela revient presque au même. Vraisemblablement y aura-t-il à la fois hausse des prix et majoration de l'impôt. »
L'affaire Hedebouw
En 2001, le porte-parole du PTB, Raoul Hedebouw, a eu son GSM sur écoute pendant trois semaines, lorsqu'il préparait à Liège une manif contre Ecofin, le sommet européen des ministres des Finances. Coût de cette plomberie téléphonique : 17 000 euros. Le juge d'instruction en conclut que Raoul Hedebouw et trois camarades sont membres d'une organisation criminelle.
Le 8 septembre 2003, ils sont acquittés sur toute la ligne. Ils demandent des dommages et intérêts pour les frais de leur procès. Le 9 septembre 2008, le tribunal de Liège condamne l'Etat belge à payer 2 000 euros à chacun des quatre amis. Le ministre de la Justice Jo Vandeurzen va en appel, il en fait une question de principe. Motivation : « Raoul Hedebouw était l'organisateur des manifestations à Liège et, en août 2001, il avait pris la parole en mentionnant la manifestation de Gênes ; Arnaud Leblanc était à Gênes et représentait le média alternatif Indymedia ; Dider Brissa était lui aussi mentionné sur le site Internet d'Indymedia et Xavier Müller était organisateur d'une « G-8 Party » en commémoration des victimes des manifestations de Gênes. »
Leur avocat Axel Bernard est formel : « Avec de tels arguments, Vandeurzen peut faire mettre sur écoute tout syndicaliste ou journaliste qui fait référence à une manif à l'étranger. »
Protestations générales
En Belgique, 3 120 personnes ont déjà signé la pétition sur www.preservetavieprivee.be (voir ci-joint). Grâce entre autres à la résistance des ligues des droits de l'homme, il n'y a pas encore de loi en Belgique sur la conservation des données.
En Allemagne, la loi a été approuvée le 1er janvier 2008. Treize mille personnes ont déposé une plainte commune auprès de la Cour constitutionnelle, demandant l'annulation de la variante allemande de la loi. Dans un arrêt provisoire du 11 mars 2008, cette Cour a estimé que cette loi portait atteinte à la vie privée1.
Un tribunal de Wiesbaden a lui aussi fait estimé, le 27 février 2009 que « la conservation de données viole le droit fondamental à la vie privée2 ».
Le 13 octobre 2009, la Cour constitutionnelle roumaine a elle aussi estimé que la loi roumaine sur la conservation des données, approuvée en 2008, était en contradiction avec la Constitution nationale3.
1 Bundesverfassungsgericht, jugement duu 11 mars 2008 (256/08
2 Verwaltungsgericht Wiesbaden, arrêt du 27 février 2009, acte 6K, 1045/08.WI, Firme X et Gbr t. Land Hesse.
3 pgzlog.wordpress.com/2009, 14 octobre 2009
Préservez votre vie privée
La Ligue des droits de l'homme, l'Ordre des barreaux flamand et francophone et l'Association des clients Telecom et Internet (CTI) ont lancé une pétition contre la transposition de la directive européenne sur la conservation de données dans la loi belge. Si vous partagez les points de vue ci-dessous, surfez donc vers www.preservetavieprivee.be et signez la pétition.
Une obligation générale de sauvegarde des données touche out le monde !
Une obligation générale de sauvegarde est une violation grossière du droit de chacun à la vie privée.
Une obligation générale de sauvegarde transforme les 10 millions d'habitants de la Belgique en suspects potentiels.
Une obligation générale de sauvegarde perturbe le secret professionnel des médecins, avocats, journalistes et religieux, de même que les activités politiques et commerciales requérant la confidentialité.
La nécessité d'une obligation générale de sauvegarde n'a pas été prouvée.
Une obligation générale de sauvegarde n'offre aucune garantie contre le terrorisme ou la criminalité.
Une obligation générale de sauvegarde entraînera des frais énormes que le simple citoyen va devoir assumer.
Plus d'infos sur www.preservetavieprivee.be