dimanche 10 octobre 2010

G13 Johnstone sur la Serbie: une traduction de notre ami Jean-Marie FLEMAL, avec tous mes remerciements ! RoRo

Johnstone sur la Serbie: une traduction de notre ami Jean-Marie FLEMAL, avec tous mes remerciements !       RoRo
 
 
 
 

Sent: Friday, October 08, 2010 4:13 PM
Subject: Johnstone sur la Serbie

Bén l' bodjou, m' camarôde !
 
Vlà ène traduction (ma nén en wèlon, ho ! ras'trindèz ène miette quante mîn-me...) du papî d' Diana Johnstone su l' Serbie.
Roci pa d'zou l'affére èn ètîre èyè dins l'bwesse come fichier.
 
Bran-mint des complimints à Mariette, èn' do... èyè des betches à tertousses.
 
El longs pweilles di Dârmet.
 
OOOOOOO
 

http://www.nspm.rs/nspm-in-english/nice-guys-finish-last.html

 

Nice Guys Finish Last*

 

Diana Johnstone  

4 octobre 2010

 

Le 5 octobre 2000, en Yougoslavie, le cours régulier des élections présidentielles était violemment interrompu par ce que les médias occidentaux allaient décrire comme une « révolution démocratique » contre le « dictateur », le président Slobodan Milosevic. En réalité, le « dictateur » était sur le point d'entrer dans le tour final des élections présidentielles yougoslaves, qu'il allait d'ailleurs perdre, probablement, au profit du principal candidat de l'opposition, Vojislav Kostunica. Plutôt que de soutenir le processus électoral démocratique, les États-Unis avaient entraîné et incité des activistes à occuper les rues et à remplacer les élections par le reportage télévisé d'une insurrection populaire. Sans doute les scénaristes avaient-ils conçu ce spectacle d'après le modèle du renversement – savamment mis en scène également – du couple Ceausescu en Roumanie, à la Noël 1989, et qui se termina par leur assassinat à la suite d'un des procès truqués les plus courts de l'histoire. À l'adresse du monde extérieur, généralement ignorant, se faire déboulonner au cours d'une insurrection était censé prouver que Milosevic était réellement un « dictateur », à l'instar de Ceausescu. Avoir été battu lors d'une élection aurait tendu à prouver le contraire.

            À la différence de Ceausescu, l'assassinat de Milosevic fut perpétré avec lenteur, indirectement, au cours d'un processus de plusieurs années. Mais le 5 octobre marquait le jour où les grandes puissances étrangères, les États-Unis en tête, s'emparèrent du pouvoir politique réel en Yougoslavie. Président proclamé dans des circonstances confuses, Kostunica fut affaibli dès le départ. Le favori de l'Occident, Zoran Djindjic, fut installé au poste de Premier ministre de Serbie et, quelques mois plus tard, violait la constitution serbe en livrant Milosevic à la Cour pénale internationale pour l'ancienne Yougoslavie (CPIY), à La Haye, pour l'un des plus longs procès truqués de l'histoire.

            Les politiciens prétendument « démocratiques » de Belgrade opérèrent dans l'illusion que livrer Milosevic aux loups de la CPIY leur aurait suffi à s'assurer les bonnes grâces de la « communauté internationale ». Mais ce ne fut pas suffisant et la surenchère dans les exigences s'est d'ailleurs poursuivie jusqu'à ce jour. La livraison de Milosevic, des généraux Nebojsa Pavkovic, Sreten Lukic, Vladimir Lazarevic et Dragoljub Ojdanic, de l'amiral  Miodrag Jokic, de Radovan Karadzic et de Vojislav Seselj, entre autres, n'a rien fait pour éloigner les stigmates de la Serbie. Au contraire, la coopération avec La Haye a servi avant tout à confirmer la culpabilité collective de la Serbie. Après tout, si même les Serbes considèrent que leur propre dirigeant est responsable de toutes les guerres qui ont eu lieu en Yougoslavie, qui d'autre y trouverait à redire ? La théorie montée de toutes pièces d'une « entreprise criminelle commune » afin de créer une « Grande Serbie » fut utilisée pour rejeter la responsabilité de la dissolution de la Yougoslavie sur une conspiration serbe imaginaire. Le bouc émissaire ne fut pas le seul Milosevic, mais la Serbie même. La culpabilité de la Serbie dans tout ce qui a mal tourné dans les Balkans, voilà qui fut la ligne essentielle de propagande utilisée pour justifier l'agression par l'Otan en 1999 et, en acceptant implicitement cette culpabilité, les dirigeants « démocratiques » ruinèrent complètement les prétentions morales de la Serbie à l'endroit du Kosovo.

            En juin 1999, au moment où les bombes détruisaient ponts et usines et sous la menace de bombardements intensifs qui allaient détruire entièrement la Serbie, Milosevic céda et permit à l'Otan d'occuper le Kosovo. Mais il y mit quand même des conditions – que les États-Unis commencèrent par ignorer.

            Ses successeurs, eux, se rendirent inconditionnellement et fuirent une bataille pourtant moins périlleuse – la bataille consistant à informer l'opinion publique mondiale de la très complexe vérité des Balkans.

            Non seulement les dirigeants « démocratiques », mais aussi bien des Serbes qui ne pouvaient comprendre pourquoi l'Otan bombardaient leur pays, préférèrent se faire l'écho de la ligne de l'Alliance dans l'espoir d'échapper à l'isolement. Et ils dirent que ce qui s'était passé en Yougoslavie étaient entièrement la faute d'un seul homme, Slobodan Milosevic. Mais nous ne sommes pas comme lui, nous sommes de braves gens. Débarrassez-nous de lui, et tout ira pour le mieux.

            Cela ne marcha pas, parce que le diagnostic du problème était erroné.

            Par une étrange convergence des événements, la Yougoslavie a servi de champ expérimental pour le projet américain de remodeler le monde. La Yougoslavie a été un champ expérimental pour des « forces coercitives » ou « hard power », à savoir lors des bombardements subis par son  territoire, mais aussi, et plus encore, même, pour des forces douce (« soft power »), à savoir la propagande et la manipulation. Les techniques essayées en Yougoslavie furent plus tard utilisées dans plusieurs pays successifs – notamment lors des « révolution de couleur », qui débutèrent plus tard à Belgrade, ce fameux 5 octobre.

            La Serbie a été et continue à être la victime d'une injustice historique en même temps que l'objet d'un scandale qui n'a pas encore cessé. Il est compréhensible et probablement inévitable que les Serbes essaient d'échapper à ce présent intolérable en se projetant dans un passé héroïque mythique ou dans un avenir idyllique, tout aussi mythique, au sein de l'union européenne. Jusqu'à un certain point, cela peut refléter l'écart entre deux générations, la plus vieille rappelant un passé mythique et la plus jeune anticipant sur un futur mythique.

            En attendant, j'ai l'impression que les dirigeants pro-occidentaux de la Serbie sont très indécis à propos du présent. Je suis frappée par le fait que ces dirigeants, qui s'identifient si étroitement à l'Occident, sont absolument incapables de le comprendre. Parfois, j'ai l'impression que la bourgeoisie serbe s'identifie à une Amérique plus aimable, plus gentille, qui peut avoir existé dans le passé, mais qui n'existe certainement plus aujourd'hui. Il s'avère que ces gens croient très sincèrement que s'ils se montrent aimables avec l'Occident, l'Occident sera aimable avec eux. Ils ne savent pas à qui ils ont affaire. Ils ne semblent pas avoir jamais entendu un Américain bien connu dire : « Nice guys finish last », « les gentils s'en vont en dernier ». Dans ce monde impitoyable, être gentil signifie simplement que vous êtes un perdant et que cela ne coûte rien de continuer à vous berner et à vous molester.

            Les États-Unis et leurs satellites de l'Otan sont engagés dans une conquête du monde d'un nouveau genre. Elle est active partout et, pourtant, presque invisible. La machine militaire américaine, colossale au point d'en être grotesque, continue à chercher une supériorité militaire «tous azimuts afin de contrôler tout ce qui remue, depuis le fin fond du sous-sol jusqu'aux espaces intersidéraux, à l'aide de près d'un millier de bases militaires  disséminées un peu partout dans le monde et de programmes musclés visant à transformer des forces de défenses originales d'autres pays en « boîtes à outils » spécialisées susceptibles de servir dans toute guerre que pourraient envisager les États-Unis partout dans le monde. Chaque jour qui passe, les États-Unis s'engagent dans des exercices militaires communs avec des États clients dans l'un ou l'autre endroit de la planète. Être un allié des États-Unis entraîne le fait qu'on est capable de se défendre soi-même, mais surtout d'être à même d'aider les États-Unis à agresser quelque autre pays.

            Et les gentils s'en vont en dernier.

            La stigmatisation de la Serbie se poursuit. Les journaux occidentaux ignorent ce pays, à moins qu'il n'y ait quelque chose de négatif à en dire. En France, les cartes météorologiques indiquant la température dans les diverses capitales mondiales sautent la Serbie – un non-pays. Les seules personnes qui parviennent à forcer cette barrière sont les stars du tennis – apparemment, le monde du sport bénéficie de sa propre autonomie. Mais il n'est pas donné à tout le monde, en Serbie, de devenir une star du tennis. En dehors des courts, la Serbie continue à porter les stigmates du « nationalisme extrémiste », du « nettoyage ethnique », « du pire massacre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale », et même du « génocide ».

            La persistance de cette stigmatisation nécessite une explication. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il ne fallut attendre que quelques années pour que la République fédérale d'Allemagne fût acceptée au sein de l'Otan et reconnue comme une alliée de l'Occident. Deux raisons expliquaient la rapidité de la réhabilitation de l'Allemagne, mais ces raisons ne s'appliquent pas à la Serbie. Primo, l'Allemagne était un important moteur industriel, une puissance économique dont le redressement était essentiel à l'économie des États-Unis victorieux eux-mêmes. Secundo, il existait un ennemi commun : l'Union soviétique.

            Certains Serbes espéraient manifestement que le facteur de l'« ennemi commun » aurait pu contribuer à réhabiliter leur pays. Dans ce cas, l'ennemi commun était l'Islam. Certains amis admirable de la Serbie entretinrent cet espoir, avec une grande sincérité, d'ailleurs, mais je tiens on ne peut plus respectueusement à exprimer mes objections au sujet de cette approche.

            Il convient de garder à l'esprit le rôle dévolu aux Serbes, dans le jeu de la guerre : celui des ennemis racistes des musulmans. Ce stéréotype n'est renforcé que lorsque les serbes disent quelque chose contre les musulmans. Le jeu américain a consisté à utiliser le soutien aux musulmans de Bosnie et du Kosovo pour faire plaisir aux dirigeants du monde musulman. En 2007, feu Tom Lantos, membre du Congrès, était président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre et il faisait allusion à l'indépendance du Kosovo en disant qu'il s'agissait « simplement d'un rappel à l'adresse des gouvernements à prédominance musulmane dans le monde que (…) les États-Unis montrent la voie dans le processus de création d'un pays à prédominance musulmane au cœur même de l'Europe ».

            Le mythe du « génocide » serbe à l'encontre des musulmans sert à faire paraître les guerres américaines et israéliennes contre les musulmans quasiment humanitaires, en comparaison. Voir les choses sous l'aspect d'un conflit entre l'Occident chrétien et le monde musulman fait le jeu de ceux qui ont utilisé la Yougoslavie comme leur laboratoire expérimental de conquête. Cela falsifie l'image réelle de la réalité en désignant du doigt un faux ennemi. Ce n'est pas le monde musulman qui a détruit la Yougoslavie, c'est l'Otan. Ce n'est pas le monde musulman qui a détaché le Kosovo de la Serbie ou qui aurait pu le faite, c'est encore et toujours l'Otan.

            En guise de remarque personnelle, je dois vous dire que lorsque j'ai visité l'Algérie et la Libye, j'ai rencontré des intellectuels dont les sympathies allaient à l'ancienne Yougoslavie et à la Serbie. Et c'est vrai également pour la Turquie, ce qui pourrait être encore plus surprenant.

            Dans le contexte du projet de conquête mondiale nourri par l'Otan, les choix opérés par la Serbie ont une signification plus large qu'on ne pourrait la percevoir. Quand la Serbie tourne le dos au reste du monde dans son désir résolu de gagner l'approbation des nations de l'Otan qui lui ont volé le Kosovo, elle prouve que l'agression paie.

            La Serbie ne sera pas traitée en égale tant qu'elle ne ripostera pas sur le front de la propagande. Tant que cette nation sera stigmatisée comme « génocidaire », elle ne pourra faire valoir aucune prétention sur le Kosovo, ni sur rien d'autre. La seule chose qu'une nation paria peut faire, c'est mendier à genoux.

            Shakespeare a écrit ces mots :

            « Celui qui me vole ma bourse me vole une vétille (…) ; mais celui qui me filoute ma bonne renommée me dérobe ce qui ne l'enrichit pas et me fait pauvre vraiment**. » Permettez-moi de dire que la perte du Kosovo, tout brutale et injuste qu'elle ait été, est une vétille comparée à la perte de sa bonne renommée par la Serbie. Les dirigeants serbes se sont trompés dans le choix de leurs priorités, ils ont posé des gestes futiles en vue de recouvrer le Kosovo au lieu de consentir de sérieux efforts pour restaurer la réputation de leur pays.

            La Serbie ne dispose pas des forces militaires pour reprendre le Kosovo à l'Otan. Elle ne peut combattre avec succès sur le champ de bataille du « hard power ». Mais au moins pouvait-elle essayer de lutter sur le terrain des morts, des images, des idées.

            Les procès absolument truqués de La Haye étaient destinés à justifier l'agression de l'Otan en établissant la culpabilité de la Serbie. Et, pourtant, le long procès de  Milosevic, et l'actuel procès interminable de Vojislav Seselj n'y sont pas parvenus. La chose, toutefois, est cachée à l'opinion publique mondiale. Les fautes réelles de ces hommes politiques vaincus sont insignifiantes, comparées aux implications de leur diabolisation. Les patriotes serbes devraient recourir aux témoignages déposés lors de ces procès pour établir la vérité et restaurer l'honneur de la Serbie. Ils devraient faire des recherches, rédiger des livres, faire des films, parler au monde. Non seulement au monde, mais encore plus aux jeunes générations de Serbes, à qui il devrait être donné de comprendre la tragédie – non pas de pleurer, non pas de chercher une revanche, mais de savoir la vérité et de vivre en liberté, dans l'indépendance et la dignité. Seule la vérité peut vous donner la liberté.

 

* Nice Guys Finish Last (Les gentils s'en vont en dernier) est une chanson du groupe punk rock américain Green Day, tirée de leur album Nimrod, paru en 1997. (Wikipedia)

** Othello, Acte III, scène 3.