Dossier déchets :: Combien devrons-nous payer nos poubelles?
La question sera à l'ordre du jour de nombreux conseils communaux cet automne : à quel prix collecter et gérer les déchets ménagers ? La généralisation du principe du coût-vérité fait craindre le pire pour nos portefeuilles.
L'Union européenne l'a décidé en 2006 : tous les Etats doivent désormais appliquer la politique du coût-vérité pour la collecte et le traitement des déchets. Ce coût devra progressivement être répercuté sur les citoyens, avec répercussion totale pour 2013.
L'Union européenne se targue d'appliquer des principes qui a priori sonnent très juste : avant tout prévenir, ensuite valoriser et enfin seulement éliminer les déchets. Autrement dit : moins de déchets, plus de recyclage, et le moins de « reste » possible. Ensuite, responsabiliser tous les acteurs de la société sur base du principe du « pollueur-payeur ».
Très bien. Mais qu'est-ce que ça donne dans la pratique ?
En Belgique, ce sont les communes qui sont responsables de la collecte et de la gestion des déchets en vertu de leur mission de salubrité publique. Le financement de cette mission était supporté jusqu'à présent par une taxe communale et des dispositions propres à chaque commune qui organisaient comme elles l'entendaient ce service d'utilité publique. Mais à partir de 2013, les communes qui ne feront pas payer le coût intégral des déchets aux citoyens ne recevront plus les subsides régionaux en matière de prévention et de gestion des déchets. Partout dans le pays, les bourgmestres font donc des plans pour appliquer fidèlement les directives européennes et régionales.
800 grammes par semaine
Actuellement, la plupart des communes de la région wallonne appliquent une taxe forfaitaire qui donne droit à un certain nombre de sacs poubelles, au ramassage et à l'accès aux parcs à conteneurs. A La Louvière, par exemple, un ménage de 4 personnes paie 121 euros et reçoit 40 sacs par an.
Mais les tarifs sont en train d'augmenter et partout on discute de l'introduction d'une taxe proportionnelle en plus de la taxe forfaitaire. Le raisonnement est qu'il faut inciter les ménages à produire moins de déchets et à mieux trier. Et les ménages qui dépassent un certain nombre de sacs ou de kg de déchets par an devront payer des suppléments. Ainsi, à Amay, où le président d'Ecolo Jean-Michel Javaux est bourgmestre, la taxe forfaitaire est de 98 euros pour un ménage de 2 personnes et plus. Cela donne droit à 20 sacs poubelle, ce qui est insuffisant. Tout rouleau de 10 sacs supplémentaires coûte 8,70 euros.
A Charleroi, la taxe pour un ménage de 2 personnes passe de 87 à 125 euros, et il faut acheter les sacs à 0,87 euro/pièce. Il est prévu que les ménages à faible revenu reçoivent des sacs gratuits, mais la distribution ne suit pas. A Anthisnes, les habitants ont protesté contre une augmentation intervenue en avril dernier : la taxe fixe était auparavant de 30 euros pour un isolé et passera désormais à 75 euros. Et si on dépasse un certain poids de déchets sur l'année, un supplément de 0,15 euro par kg sera réclamé. A Floreffe, dans la région namuroise, la taxe fixe est de 84 euros pour 20 ramassages et sera augmentée de 1,7 euros par ramassage supplémentaire. A Seraing, la taxe de base pour un ménage de 4 personnes est de 105 euros par an, et tout ce qui dépasse 40 kg/personne pour les déchets non-recyclables et 12 ramassages par an sera facturé à 0,15 euro/kg et 1 euro par ramassage. 40 kg par personne et par an, c'est 800 grammes par semaine
En régions flamande et bruxelloise, les formules sont un peu différentes mais vont dans la même direction: c'est encore M. et Mme Tout-le-monde qui vont payer.
Dossier déchets :: Les actions du PTB
Herstal 2000 : la bataille des poubelles
La question de la gestion des déchets n'est pas neuve. En 2000, à Herstal, après une enquête parmi la population, le PTB a mené avec les habitants une campagne pour la gratuité des sacs poubelles et des mesures sanitaires en lien avec la présence de l'incinérateur d'Intradel sur le territoire de la commune. Plus de 5 000 personnes (sur 35 000 habitants) ont signé une pétition et 1 436 voix ont élu Nadia Moscufo et Johan Vandepaer au conseil communal pour relayer leurs revendications. En février 2001 une manifestation de 400 personnes se termine à l'entrée d'Intradel et 600 affiches réclamant le sac poubelle à 0 cent fleurissent dans la commune.
Finalement, le prix du sac poubelle passe de 1 euro à 60 cents au 1er janvier 2004. En plus une enquête de santé a été menée auprès des riverains d'Intradel, en collaboration avec le département de la médecine générale de l'université de Liège. Les deux élus du PTB ont donc réalisé le programme pour lequel ils ont été mandatés par la population.
Zelzate a fait la grève des taxes
En 2007, les Zelzatois ont reçu dans leur boîte aux lettres un avis à payer une taxe sur les déchets ménagers : 80 euros, quel que soit la taille du ménage. Le PTB a appelé à ne pas la payer.
Les familles qui triaient et géraient bien leurs déchets étaient un peu épargnées par l'augmentation du coût de la vie. Le système « diftar » de ramassage des poubelles facturait les déchets réellement enlevés, ce qui est plus avantageux qu'un système forfaitaire. Mais en septembre 2007, surprise : en plus d'une augmentation du tarif diftar, la commune a décidé d'un impôt forfaitaire sur les déchets ménagers, de 80 euros par ménage (50 euros pour les revenus modestes). Une taxe qui ne tenait compte ni de la taille des ménages, ni de leur comportement environnemental. Les six conseillers communaux du PTB ont appelé à ne pas payer cette taxe, d'autant plus que le gouvernement flamand l'avait déclarée illégale.
Dossier déchets :: Un marché qui rapporte
En général, la collecte des déchets est organisée par des intercommunales publiques, et c'est tant mieux. Car, en se groupant, les communes peuvent faire poids et obtenir des conventions de prix plus intéressantes. Mais puisque le recyclage, ça rapporte, le privé n'est jamais loin.
L'Union européenne a d'ailleurs prévu que « les opérateurs publics de gestion des déchets ne peuvent désormais plus gérer eux-mêmes les déchets industriels. Le décret impose ainsi aux opérateurs publics de déchets de s'inscrire dans le cadre de partenariats avec une personne morale de droit privé pour le prétraitement, la valorisation et l'élimination des déchets industriels . » Et qui voyons-nous entrer en scène ? Suez Environnement, filiale du groupe GDF Suez, dont un des principaux actionnaires n'est autre que ce cher Albert Frère, homme d'affaire tant apprécié par Didier Reynders. Sita, filiale de Suez en Belgique, organise la collecte des déchets et exploite en joint-venture l' incinérateur à Doel (460 000 tonnes de déchets par an). A Herstal, l'unité de valorisation énergétique Uvelia (en fait un incinérateur) est co-géré par Intradel (70%), Suez (15%) et Vangansewinkel (15%). Il traitera bientôt 100 000 tonnes de déchets industriels pour 130 000 tonnes de déchets ménagers. La capacité totale sera de 320 000 tonnes, ce qui devrait permettre la production et la vente d'électricité : 241 millions de kWh/an, soit trois fois plus qu'actuellement.
Albert Frère s'est dit très satisfait et n'exclut pas d'augmenter sa position dans le capital de Suez Environnement. Compte tenu de son flair légendaire pour les affaires juteuses, c'est qu'il estime que l'entreprise possède du potentiel. Pour lui, bien sûr. (AB)
Pistes pour un financement alternatif
Puisque les déchets sont incontournables, il faut considérer leur enlèvement et leur traitement comme un service public à faible coût (voire gratuit) pour le citoyen. Mais alors, qui doit payer ?
En Belgique, l'industrie chimique des matières plastiques est florissante. La Belgique arrive au premier rang mondial, par habitant, tant de la production que de la transformation du plastique. Le chiffre d'affaire était de 11 milliards d'euros en 2002 pour tout le pays, dont 70% à l'exportation et de 11 milliards d'euros en 2008 rien que pour la région wallonne. Toutes ces matières plastiques deviennent à un moment donné des déchets. Il serait donc logique que les producteurs payent pour leur traitement.
La grande distribution, responsable d'une grande partie des déchets (suremballages), se porte bien malgré la crise, merci pour les actionnaires. Colruyt par exemple a fait en 2008 un bénéfice net de 306 millions d'euros (+6,2%). Vu cette bonne santé financière, il est parfaitement possible de les faire participer aux frais de traitement des déchets.
Enfin, les entreprises de traitement des déchets, qu'elles soient intercommunales ou privées, font des bénéfices. En 2008, l'intercommunale Intradel a fait 1,5 million d'euros de bénéfices. Uvelia, l'incinérateur installé à Herstal, produit avec nos déchets de l'électricité que nous payons. Il serait logique de rendre cet argent à la collectivité, sous forme de diminution des taxes et redevances. (JVDP)
Dossier déchets :: Le coût-vérité n'est pas forcément le juste prix
Entendons-nous bien : diminuer les déchets, les trier pour les recycler, tout ça est absolument nécessaire et doit être financé. Mais les dispositions actuelles prennent la population en otage.
En effet, c'est elle qui doit supporter le plus cette nouvelle politique. Les directives européennes et régionales prétendent vouloir responsabiliser tous les acteurs, mais aucune mesure n'est prise contre les producteurs industriels des emballages qu'on nous impose dans la grande distribution. Pourtant, il suffirait d'interdire l'utilisation des emballages en frigolite, par exemple.
Le principe du coût-vérité est aussi profondément antisocial, il pénalise surtout les ménages à faible revenu et les familles nombreuses. Les taxes sont les mêmes pour tout le monde, que vous ayez un revenu de 1 300 ou de 10 000 euros par mois. C'est injuste. Le coût-vérité c'est la négation du principe du service public financé par les impôts selon les revenus et totalement accessible à l'ensemble de la population. Imaginez qu'on applique ce coût-vérité à l'enseignement ou aux soins de santé. Des centaines de milliers de gens n'auraient plus la possibilité d'étudier ou de se soigner.
A tous les niveaux de la chaîne du recyclage, on taxe la population travailleuse : taxe recupel, taxe provinciale pour l'environnement, écotaxes répercutées sur le consommateur final, taxe communale pour les déchets ménagers, et désormais la taxe proportionnelle sur nos déchets.
Délit écologique
Mais à tous les niveaux de la chaîne du recyclage, il y a aussi ceux qui font leur bénéfice. On nous revend, avec bénéfice, l'électricité produite grâce au recyclage de déchets triés par nos soins. Certains groupes financiers font leurs bénéfices à la fois au niveau de la production et de l'élimination d'un même produit.
On culpabilise beaucoup la population. Mettre un déchet dans le mauvais bac est considéré comme un délit écologique. Or, les consignes de tri dépendent surtout des prix du marché ! Ainsi, les plastiques durs ne rapportent plus et sont désormais considérés comme encombrants. Avec la chute du prix du papier neuf, certains pays ont stoppé le recyclage papier carton. Ce qui est crime écologique aujourd'hui, parfois sera la bonne conduite demain. Et les tarifs changeront
Le ministre Lutgen l'a lui-même reconnu : « La vérité est que quand je vous parle du coût-vérité, il est clair que les communes demandent une contribution trop élevée et que les gens paient plus cher que le service qui est réellement rendu à la population »
Déchets industriels moins taxés
Ce qui fait bondir aussi, c'est que le principe « pollueur-payeur » n'est pas le même pour tous : les déchets industriels, qui représentent 90% des déchets en Flandre, sont beaucoup moins taxés que les déchets ménagers. En région wallonne en 2004, selon l'Union wallonne des entreprises, 48% des déchets sont issus de l'industrie, 20% du secteur de construction et de la démolition, 18% du secteur tertaire et
12% de l'activité des ménages. Mais les tarifs de l'intercommunale Intradel (Liège) prévoient que « les flux ménagers doivent être nettement distingués des flux industriels, et un contrôle de financement qui soit propre à chaque flux doit être mis en place. Cela permettra d'éviter les amalgames et notamment que servent de prix de référence des prix « déchets industriels », généralement plus bas .»
Donc, non seulement les ménages produisent beaucoup moins de déchets, mais en plus ils paient plus cher pour les faire enlever et recycler. (AB)
Sacs ou conteneurs ?
Plusieurs communes ont déjà instauré ou vont introduire un système de tri et collecte des déchets par conteneurs à puce. Les formules peuvent varier, mais en gros ça va comme ça : chaque ménage reçoit deux conteneurs, un vert pour les déchets organiques (cuisine et petit jardinage) et un gris pour ce qui reste quand on a trié verre, papiers, PMC, organiques, etc. Dans les agglomérations urbaines, où les logements sont très denses, cela pose certains problèmes et les habitants ne sont pas toujours très contents.
Pour les ouvriers qui passent chaque semaine dans nos rues, les conteneurs à puce sont plus intéressants : c'est propre, l'opération de vidange et de lecture de la puce prend du temps (donc le rythme de travail diminue) et cela crée plus d'emplois.
D'autre part, le système des conteneurs ouvre la porte à une discrimination : ceux qui sont en bonne santé, qui ont un jardin, qui ont du terrain, qui peuvent se permettre de garder des bêtes s'en sortent mieux. En plus, cela permet le chacun pour soi, autoroute ouverte à la libéralisation. La solution des conteneurs s'avère impraticable dans des buildings et maisons sans jardin ou balcon, ou chez les personnes à mobilité réduite. Dans ces cas-là, il faut donc permettre le maintien des sacs, quitte à introduire des sacs « verts » pour permettre à ces ménages de trier les déchets organiques. A Anvers, au début des années 2000, des habitants d'immeubles se sont opposés aux conteneurs et ils ont obtenu un système spécial souterrain.
On pourrait aussi imaginer des incitants financiers positifs, comme c'était le cas dans les pays d'Europe de l'Est avant 1990 : créer des comptoirs communaux de récupération des déchets, annexés aux recyparcs, où les bons trieurs peuvent monnayer certains déchets. Les bons exemples seraient financièrement récompensés. (JVDP)